Chroniques autistes

Sur le temps qui passe

51 ans aujourd’hui et le temps de faire un bilan. J’en faisais régulièrement à la date anniversaire de notre arrivée au Canada (le 23 juin 2002), mais j’ai arrêté cette tradition et je ne me souviens plus trop pourquoi. Je tiens à préciser qu’il n’y aucune arrière-pensée derrière les mots qui suivent, ni ironie, ou quelconque message caché. Si vous connaissez un tant soit peu quelque chose à l’autisme la précision précédente est probablement inutile pour vous. Je suis quelqu’un de pragmatique, j’énonce des faits et une réalité qui est la mienne, rien de plus.

51 ans et c’est bientôt mon 2ème anniversaire en sachant que je suis autiste. Vieillir en étant autiste est difficile car rien n’existe pour nous si nous sommes capables de prendre plus ou moins soin de nous (comprendre être autiste sans la co-condition courante d’une difficulté d’apprentissage ou retard intellectuel selon les pays).

51 ans et heureuse d’être arrivée à cet âge-là étant autiste vu la moyenne d’âge des personnes autistes qui est dramatiquement basse. Je vous laisse chercher par vous-mêmes les statistiques pour votre pays, gardez à l’esprit que ces chiffres ne représentent pas du tout la réalité étant donné qu’ils prennent en compte seulement les diagnostics officiels. Et en avoir un est un privilège géographique, financier, de sexe, de race, de genre et de génération inaccessible à beaucoup d’entre nous.

51 ans et incapable de travailler depuis plusieurs années plus que quelques heures par semaine à la suite de mon burnout autistique débuté en 2016 et qui a duré plusieurs années. Donc si jamais quelque chose arrive à mon mari je me retrouve seule et sans appui d’aucune sorte, car étant « trop indépendante » (je cite) je n’ai droit à rien.

51 ans et en deuxième année du Diploma in Egyptology à partir du 1er octobre. Ce sera très probablement ma dernière année à l’université ayant réalisé l’année dernière qu’étudier seule à distance et sans aide a ses limites, à cause entre autres de mes fonctions exécutives dysfonctionnelles. Mon rêve d’obtenir un Doctorat s’envole et c’est quelque chose que j’apprends à accepter.

51 ans et seule avec mon mari. C’est quelque chose que nous avons accepté mais ce n’est pas forcément parfois sans regret ni nostalgie. Nos quelques rares connaissances/copains/anciens collègues vivent loin, ont déménagé, ont des enfants, une famille, une vie, et c’est donc devenu depuis longtemps une tradition pour nous de célébrer nos anniversaires et autres jours fériés seuls, généralement au restaurant maintenant particulièrement à Noël. Étant autiste je suis souvent soulagée de ne pas avoir de vie sociale, mais en même temps pouvoir simplement aller prendre un verre avec une autre personne est quelque chose qui me manque. J’arrive à compenser cette absence grâce aux échanges en ligne qui me permettent de créer et d’essayer d’entretenir des liens. Mais ce dernier point est souvent difficile pour une personne autiste. (article écrit en 2023)

51 ans et chanceuse d’avoir une maison, une climatisation qui est une bénédiction vu la température et l’humidité de ces derniers jours en ce début de septembre. J’ai aussi la chance de faire un travail que j’aime, de vivre dans un quartier très calme, d’avoir accès à la nature à une courte distance de la maison, tous ces facteurs permettent indéniablement de mieux vivre étant autiste. J’apprends chaque jour à gérer de mieux en mieux le fait d’être autiste. Cela ne fonctionne pas tout le temps, c’est un processus d’essais/erreurs mais j’ai la chance de pouvoir le faire. Hier encore, j’ai pris connaissance d’un nouveau facteur qui pouvait influer sur mon bien être général et cet apprentissage continuera sans aucun doute encore tout au long de ma vie.

51 ans et 21 ans au Canada dont 17 en Ontario avec une langue maternelle qui s’est modifiée et qui s’est adaptée à son nouvel environnement. Et l’enseigner à nouveau me permet de la pratiquer différemment et surtout de la conserver!